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Interview avec AMNES : “La musique est devenue comme une thérapie pour moi”

Interview avec AMNES pour la sortie de son premier EP, "Nur"

Interview avec le producteur AMNES. Après s’être montré actif au sein du groupe bass house Hooders, Nasser El Moussaoui a décidé de lancer son projet solo. Le succès est déjà au rendez-vous, avec une sortie notamment sur le label de Don Diablo – Hexagon – et un premier EP sur le célèbre label de San Holo, bitbird. Pour 7kulturs, nous nous sommes assis avec lui dans un bar à Bruxelles, histoire de parler projets actuels et futurs

D’emblée, le producteur libanais, établi désormais à Bruxelles, nous explique les débuts de son récent projet AMNES. Ni une ni deux, avant même le début de l’interview, il nous livre une croustillante anecdote sur son morceau « Narcisse », premier son du projet AMNES. 

Mon projet n’a même pas encore un an. Mon premier son, “Narcisse”, ne devait pas de base sortir sur Hexagon. Il devait sortir en collaboration avec un énorme nom, qui traîne avec Axwell etc : Magnificence. J’ai envoyé ce son à plusieurs personnes et il m’a répondu en me disant : « C’est une dinguerie ! Je n’avais jamais entendu ce genre de son, c’est vraiment novateur. »

Au final, cette collaboration ne s’est pas faite, parce qu’il changeait trop de choses et le son ne me ressemblait plus vraiment. C’est un son qui est bien bien plus vieux que sa date de sortie – l’année passée. Bref, ça prenait trop de temps, et j’avais besoin de sortir ce son pour lancer mon projet. J’avais aussi peur qu’on me zappe, parce qu’il y aurait eu un gros nom à côté du mien.

Comment te décrirais-tu en tant qu’artiste ?

Un artiste qui essaie de s’exprimer par ces influences musicales et culturelles, en délivrant quelque chose d’intimes au public. J’essaie d’apporter toujours de la nouveauté ou tenter de sortir du lot dans chacune de mes tracks.

J’ai toujours kiffé la musique, bien avant la fameuse ère Tomorrowland 2012, où beaucoup de gens ont commencé à s’intéresser à la musique électronique. Même enfant, j’écoutais de tout genre mais surtout beaucoup de rock et de rap. 

Puis il y a eu l’unif, avec les soirées étudiantes. Je faisais de temps en temps des petits mixes. Je dirais que le moment où j’ai vraiment commencé à charbonner, c’était il y a 4-5 ans. Tous les jours, je me suis mis à travailler en me disant que je devais réussir dans la musique. J’ai vécu des moments assez tristes dans ma vie et c’était clairement un échappatoire. Le nom AMNES vient de cette période-là, d’ailleurs. Déjà par rapport à mon nom, mais aussi parce qu’à ce moment-là, la musique me rendait comme amnésique de tout ce qu’il se passait autour de moi et des soucis que je traversais.

AMNES

Quel artiste  t’a donné envie de te lancer dans la musique ?

Flume, c’est vraiment celui qui m’a bercé au niveau production. Tchami aussi, il y a déjà un certain temps. Vers l’époque de 2014, où j’ai commencé à m’intéresser à comment produire. L’influence de Flume a vraiment été énorme pour moi. Durant un temps, j’ai vraiment essayé de produire des sons qui ressemblaient beaucoup aux siens. Et à force, je me suis dit que je risquais de ressembler à tous ces gens qui font des sons similaires. J’ai donc essayé de m’en inspirer, dans certaines touches. 

Il y a eu Skrillex aussi, un peu. Mais j’avoue que je n’ai pas beaucoup écouté ce qu’il faisait à ce moment-là. On va dire que j’ai plus été touché par son projet Jack U, avec Diplo ou actuellement ces dernières sorties ces dernières années. Il y a aussi l’ère Avicii qui m’a beaucoup touché. Lire son autobiographie m’a aidé avant de lancer le projet AMNES, parce que j’essaye d’avoir beaucoup de discipline pour atteindre mes objectifs et il en avait aussi.

Tes plus grandes influences actuelles ?

Sur les deux dernières années, j’écoute beaucoup d’artistes plus underground, moins mis en lumière. Il y en a aussi qui sont connus, du style Overmono. Eux, leur dernier album, je le saigne. J’aime aussi ce que Skrillex a fait récemment, je trouve qu’il propose beaucoup de cultures musicales différentes. On ne va pas dire que je suis influencé par un artiste en particulier, c’est juste que je vais fouiner, en fait. 

J’écoute aussi d’autres styles que la musique électronique. Beaucoup de rap, comme Nekfeu, Travis Scott, Kendrick Lamar… Même encore maintenant, je suis encore un grand fan de Damso. Parce que ce gars, il parle beaucoup, via le déchiffrement. C’est ça l’essence même du projet AMNES. Ce genre de rap-là m’influence vraiment pour les projets à venir. Au niveau de la construction musicale, des thématiques, des formats…

Mes origines libanaises et russes m’ont permis aussi à avoir une écoute et une oreille plus approfondie sur des styles musicaux que d’autres n’écoutent pas ou n’ont pas eu l’occasion.

Tu fais aussi partie du groupe Hooders, qui est plus axé bass house. En quoi cela t’a aidé à progresser musicalement ? 

Clairement, je me suis dit que cela allait m’aider à avancer dans ma technique. J’aime bien faire autre chose que de la house. Par exemple, hier, j’ai fait des sons espagnols. Comme ça, j’affine mon oreille, ma technique Et surtout composer des genres que je ne fais pas habituellement. Je fais beaucoup trop de sons ! (rires) Mais comme ça, quand je reviens sur le projet AMNES, je vais prendre des boucles de ces sons-là, qui ne sont pas du tout électro. Ça permet d’apporter un vent de fraîcheur, de nouveauté. Un peu comme un puzzle. 

Donc voilà, en intégrant Hooders, je savais très bien que j’allais progresser. Parce que j’allais faire plus de house, plus axé électronique. Je kiffais bien aussi ce projet, un peu underground.

Cela fait depuis combien de temps que tu es installé à Bruxelles ? Un avis sur la scène électronique bruxelloise ? 

C’est vrai que la techno explose à Bruxelles. C’est un peu comme si tout le monde découvrait le Berlinois qui sommeillait en lui. Il y a 5 ans, personne n’allait en soirée techno. Je pense que les réseaux sociaux ont beaucoup joué. Je ne pense pas être méchant quand je dis ça, mais beaucoup de gens sont des suiveurs de mode, dans la musique. On le voit aujourd’hui. Mais c’est le cas dans toutes les scènes de la musique électronique. 

Je vis à Bruxelles depuis 7-8 ans. Je me suis installé ici pour mes études. A propos de la scène bruxelloise actuelle,  je trouve qu’il y a des artistes qu’on ne met pas assez en avant – et en Belgique, en général. On commence vraiment à promouvoir certains artistes seulement quand ils sont connus à l’international. On ne parle d’eux que quand ils explosent à l’extérieur. Et après, on se demande pourquoi ces gens-là ne reviennent pas souvent en Belgique. C’est parce qu’on ne fait tourner que les mêmes artistes. C’est vraiment le cas dans la scène pop. Même s’ils sont bons hein, je respecte. Mais c’est vrai qu’on revoit tout le temps les mêmes noms. A cause de cela, certains arrêtent la musique. 

Pour certains producteurs, tu réussis surtout quand tu tournes aux Etats-Unis. Donc, si tu ne donnes pas cette occasion-là à des jeunes artistes, il y en a qui vont arrêter, d’autres qui vont aller ailleurs. Pourtant, ici, dans un petit pays, on devrait avoir plus de chances de percer. Je pense qu’on n’est pas encore assez ouverts à ce niveau-là. C’est le cas avec la Hard Techno, par exemple. Si la Baile Funk devient à la mode, ce seront des artistes de ce genre-là qui seront mis en avant. Pour moi, c’est des mouvements de mode. 

Pourtant, il y en a qui sont vraiment bons, sans être connus nécessairement. Martin Sao Pedro – en Melodic Techno ; Alowski – avec qui j’avais collaboré sur « Edge » ; Je pense que si on leur tendait plus la main, on parlerait encore plus d’eux et ils feraient encore plus de musique.

AMNES

Tu es d’origine libanaise. A quel point la culture musicale de ce pays t’as inspiré et influencé ? 

En vrai, elles ont beaucoup joué. La musique libanaise se marque par une forte présence de la flûte, ou par la dabkeh (une danse libanaise, nda). J’ai baigné là-dedans. Quand je vais au Liban, j’en entends énormément. Les riffs libanais et arabes, c’est vraiment un truc de dingue. C’est pour ça que j’aimerais faire un truc sur base de mes origines. Essayer de l’intégrer dans la musique que je fais et essayer encore de proposer du nouveau.

Ca me fait un peu penser à ce que Flume disait dans une interview, où il expliquait qu’il ne pourrait pas refaire l’album « Skin », en précisant que c’était une question d’état d’esprit et qu’il se lassait très vite. Je me retrouve assez bien là-dedans : je ne voudrais pas refaire la même chose que dans l’EP « Nur ». On ressentira les mêmes touches, mais le but c’est la recherche constante de nouveauté.

Après avoir remixé San Holo, tu sors ton premier EP sur son label, bitbird. Est-ce que tu pourrais nous parler un peu plus du label ?

Ils ont une relation très saine avec leurs artistes. Ils ne font pas trop de chichis, ils écoutent beaucoup ce qu’on leur envoie, ils ont vraiment l’oreille. Ils ne sont pas là pour faire de l’argent sur le dos de l’artiste, ils collaborent beaucoup et demandent quand il faut avoir des autorisations. Ils signent tant des gros artistes – comme Tisoki, Tsu Nami – que des artistes émergents parce qu’ils savent où ils veulent chercher et ce qu’ils veulent mettre en avant. Ils ont aussi une communauté assez forte. Ils parlent beaucoup avec les artistes pour s’assurer que la direction est la bonne. Le label a aussi permis de faire exploser des artistes tels que Rome In Silver ou Duskus. Honnêtement, il n’y aucune raison actuellement pour que j’aille voir ailleurs. Et je ne me vois pas non plus faire 15 labels. C’est clairement ça dont j’ai besoin maintenant. Ils m’aident clairement à me construire et avoir une base solide. Et pour peut-être tout sortir de moi-même par après.” »

(Sur le remix de « Don’t Look Down », de San Holo) : j’ai fait ce remix pendant l’écriture de l’EP. J’en ai fait 5 versions différentes ! J’ai vraiment travaillé comme un acharné dessus ! J’avais notamment fait une version Drum and Bass – très sauvage -, et une UK Garage. Lui, il cherchait vraiment une version house, avec une patte qui était la mienne. J’avais fait cette version, il l’avait aimé et m’avait renvoyé les stems par après. C’est la version qui lui paraissait la plus logique pour la sortie. Pour la petite histoire, je l’ai fait masteriser par un artiste parisien, Chopsoe. Les gens devraient vraiment écouter ce qu’il fait, il est fort. D’ailleurs, il a sorti un son avec pluko. Personnellement, le mastering, ce n’est pas ma tasse de thé. 

Comment décrirais-tu le processus créatif de cet EP ?

« Nur », c’est un terme libanais qui décrit la recherche la recherche de la lumière à travers des évènements passés. Personnellement, c’est en rapport à mes sacrifices pour la musique, des événements durs que j’ai traversés. J’avais déjà sorti « Otaku », et j’avais pas encore l’idée d’EP à ce moment-là. J’ai parlé avec bitbird, et ils m’ont évoqué l’idée d’un EP, que je n’avais pas encore à ce moment-là. L’idée, c’est que les gens découvrent track après track, puis deux nouvelles tracks à la sortie officielle de l’EP. On voulait vraiment qu’il n’y ait pas certains morceaux moins mis en avant que d’autres, et que les gens comprennent l’histoire qui est racontée dans l’EP – à travers son identité. 

« Otaku », c’est en référence à une période de ma vie, qui est même encore actuelle, c’est être un peu geek dans ce que tu aimes faire, au détriment de tes liens sociaux. Tu deviens un peu asocial sans le faire exprès, et que t’as un peu peur du monde qui t’entoure. C’est ce qui m’est beaucoup arrivé l’année passée, parce que je travaillais énormément. Je ne sors presque pas, ça fait presque un an que je ne bois plus…J’ai envie de délivrer des messages et des projets très constructifs, et j’ai besoin de cette discipline pour y arriver. Voilà, “Otaku”, c’est le premier dessin de ma vie, le premier tracé de ce chemin. 

« Stamina », c’est la persévérance dans la vie. « Kintsugi », ensuite, c’est l’art japonais de reconstruire des choses brisées. Si on va un peu plus dans la définition, ils reconstruisent des vases cassés avec de l’or. Pour eux, les cassures de la vie, c’est ça qui fait la beauté de la personne. C’est en référence à, comme j’en ai déjà parlé, une période plus sombre et une reconstruction à travers la musique. Pour moi, la musique est devenue comme une thérapie chez le psy. Le psy, c’est le public, les gens qui m’écoutent. Et j’essaye de leur en parler, en fait. « Farang », ça veut dire « étranger » en Thailandais. Et « Chakra », c’est l’énergie qui se délivre. C’est un son d’Ambient, mais avec une voix derrière. Pour moi, ça représente un peux la scène dans Harry Potter, où il se fait aspirer l’énergie par un détraqueur. Je voulais faire en sorte que l’énergie ressorte.

« Nur », le premier Ep d’amnes

C’est comme ça que je voulais terminer l’EP : tu délivres enfin tout. Et quand j’ai terminé l’EP, je me suis dit : « merci bitbird ! ». Parce que de base, je ne voulais pas faire d’EP. Et finalement, j’ai vraiment pris goût à faire cela sous un format d’EP. Parce que ça donne plus de sens à mon projet. 

Du coup, cet EP est vraiment un voyage. Mais ça, tu ne le comprends que si tu écoutes tout, et dans le bon ordre.

D’ailleurs, je travaille déjà sur un autre projet qui est dans la continuité du thème entamé sur cet EP.

Un conseil pour un jeune producteur qui se lance ? 

Je pense que le plus important, c’est le mental. C’est s’accrocher, parce que ça va être dur. Je pense que la chose qui joue aussi beaucoup, c’est la discipline. Écouter beaucoup de musique différente. N’écoute pas les gens, ou alors avec beaucoup de filtre. N’essaye pas de refaire ce que les autres ont déjà fait ou dit, aussi. Comme ça, tu traces ta propre route et tu as ta propre histoire à raconter. Sinon, on devient tous des clones de quelqu’un d’autre. 

Puis concentre toi à faire un maximum de musiques, à composer un maximum d’idées et de les terminer. Ne te prends pas la tête directement sur comment ça sonne au point de vue mastering, des gens sont là pour ça et ton oreille s’affine avec le temps. Puis c’est l’idée qui fait que c’est une bonne track , n’oublie pas ça.

Merci à AMNES pour son temps ! Découvrez son premier EP, « Nur », sur toutes les plateformes d’écoute.

Crédits d’image: AMNES.

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